En visite dans un camp de l'UÇK

En visitant un camp militaire de l'UÇK, dans les montagnesprès de Pristina, il m'est apparu que les soldatsétaient de simples jeunes gens naïfs etmanipulés.

«Les Serbes détiennent notre or», me dit un jeunegars. Il porte un uniforme militaire impeccable avec l'insigne UÇKsur le bras. «L'or qu'ils tirent de la mine de Trepca!»Effectivement, il existe une importante mine à Trepca, enplein centre du Kosovo. Propriété allemande avant laSeconde Guerre mondiale, elle appartient aujourd'hui à l'Etatyougoslave. Mais on en extrait surtout du plomb et du zinc.Voilà une des rumeurs qui attisent la haine antiserbe.

Pour arriver au camp, il m'a fallu prendre un autobus vers le nord,avec un guide chargé de me protéger. Puis grimper huitkilomètres sur une petite route de montagne. Les fermesenvironnantes sont misérables. Très pauvres, despaysans fauchent un champ à la main. Un cheval tire unecharrette chargée de maïs. Ca et là, une grandemaison à moitié construite, payée par un Albanais travaillant à l'étranger. Reviendra-t-il unjour achever son rêve?

D'où viennent ces armes, ces jeeps et ces ordinateurs dernier cri?

Tout en haut de la montagne, le camp. Stratégique. Dominanttoute la plaine. Une cinquantaine d'hommes en uniforme soigné.Walkie talkies. Armes dernier cri. Grandes Jeeps. Des barricades ontété installées entre les diverses parties d'unevieille ferme. Au Quartier général, des ordinateursdernier modèle. Contraste total avec lesous-développement des environs. «Soutien financier desAlbanais de l'intérieur et de l'extérieur»,m'explique un combattant.

Parmi eux, assez bien de travailleurs immigrés:«Sprächen Sie Deutsch? (Vous parlez allemand?)» Ilsont travaillé là-bas. Selon Demaqi (voir page 18), ilssont ici pour raisons patriotiques, pour libérer leur patrie.Mais je pense qu'ils peuvent jouer un double rôle et servird'agents à l'Allemagne. Ce que tous nient avec force.

Un jeune de vingt ans parle français: «J'ai habitéParis, mon père y était travailleur immigré. Anotre retour, j'ai travaillé un peu comme peintre, puis dansune discothèque. Lorsque j'ai vu à la TV que les Serbesavaient tué des enfants, je me suis engagé àl'UÇK. D'ailleurs, que faire d'autre à Pristina sinon vendredes cigarettes dans la rue pour la maffia?»

Le chagrin m'étreint

Au réfectoire improvisé, je reçois uneration. Assiette de soupe aux oignons, petit bout de viande etbeaucoup de pain. Les jeunes parlent entre eux avec entrain. Uneambiance de club de jeunes. J'ai du mal à les imaginer entrain de se battre contre des jeunes de l'autre camp et de lamême région.

Le commandant est un homme bourru, impossible d'obtenir plus de dixmots par réponse. Lui non plus ne craint nullement une base del'Otan dans la région: «Ils apporteront la paix.»Des forces de gauche au sein de l'UÇK? Il n'en connaît pas:«Il n'existe pas de partis dans l'UÇK, tout le monde en faitpartie.» Il ne comprend pas ce que je veux dire.

Lorsqu'ils me ramènent au bus, je prends peur. Me voilàassis dans une Golf, entre quatre hommes, solides gaillards d'environ25 ans, dont j'ignore le nom et tenant une impressionnante armeautomatique entre leurs genoux. L'autoradio joue un genre de musiqueturque. Bruyante et irréelle. L'homme au volant fredonnel'air. C'est comme si nous allions dévaliser une banque ducoin. Leurs yeux parcourent attentivement les montagnesenvironnantes. Allons-nous rencontrer des Serbes? S'ils tirent sur lavoiture, je suis coincé.

En descendant, l'angoisse me quitte. Mais le chagrinm'étreint. Après une journée passée dansle camp, ces gars sont devenus des copains. Combien de tempsvivront-ils encore ce combat absurde? Pour un or qui n'existe pas.Quant aux bénéfices de la vente du plomb et du zinc dela mine, ils n'en verront pas non plus la couleur. Tout ira dans lespoches des multinationales. (WVR)