Kosovo: les indépendantistes seraient-ils de gauche?

De nos envoyés spéciaux, Wim Van Roose &Michel Collon

«Nous ne savons pas exactement qui est l'UCK(indépendantistes albanais du Kosovo)», déclaraitWashington lors de l'offensive militaire du printemps dernier. Allonsdonc! Leurs services secrets le savent très bien. Par contre,l'opinion occidentale l'ignore. Comme les médias.
A Pristina, les journalistes occidentaux se bousculaient pour tenterd'obtenir une interview d'Adem Demaqi, porte-parole de l'UCK.Solidaire l'a interrogé, il a aussi visité leur campsecret et interrogé des miliciens et des sympathisants.Surprenant.


Interview exclusive du porte-parole des indépendantisteskosovars (UCK)

Adem Demaqi:
«Nous faisons confiance à l'Otan»

Nous souhaitions particulièrement rencontrer Adem Demaqi EnBelgique et en France, des émigrés albanais du Kosovonous avaient assuré que l'UCK, le mouvement de guérillaindépendantiste, était dirigé par des gens degauche. Bien conscients du danger représenté parl'impérialisme américain, allemand et par l'Otan, maisdésireux de les utiliser pour se débarrasser d'uneoppression serbe.
Une confirmation semblait venir de cet éditorial d'unquotidien albanais, le 25 juillet dernier: «Les Etats-Unis sontd'avis qu'un processus politique ne peut débuter sans l'UCK.Cependant, la présence d'un groupe marxiste-léninisteet son influence sur l'UCK»1 Se pouvait-il que desrévolutionnaires jouent ici le jeu de Bonn et Washington?L'UCK serait-elle de gauche? Nous avons interrogé directementleur porte-parole

Si le Kosovo devient indépendant, privatiserez-vous lesgrandes entreprises d'Etat?
Adem Demaqi
. Nous examinerons scientifiquement quelle formed'organisation assure la plus haute productivité. Certainesindustries pourraient rester publiques.

Ne craignez-vous pas que les multinationales occidentalesrachètent vos entreprises et colonisent le Kosovo?
A. Demaqi.
C'est un danger réel. Le monde entier affrontela globalisation. Mais notre développement est trèsarriéré, donc nous recherchons très activementles investissements internationaux.

Que pensez-vous de Cuba?
A. Demaqi.
Nous ne voulons pas nous isoler du reste du monde.

Vous recherchez l'intégration dans l'Europe. Mais enBelgique, cette intégration a porté de durs coups auxtravailleurs: privatisations, écoles restructurées,etc.
A. Demaqi.
Il faudra une transition de dix ans. Nousdévelopperons une industrie employant beaucoup de maind'oeuvre. Pas des usines à haute technologie avec unemployé et plein de boutons, non une industrie de base: bois,bétail, viande. Basée sur les paysans et l'agriculture.

Comme le montrent ces cartes de notre livre Poker menteur, dansla Yougoslavie de Tito, la Slovénie, république la plusriche, s'est enrichie sur le dos du Kosovo
A. Demaqi.
Vos cartes sont très intéressantes. Oui,la Slovénie nous achetait matières premières eténergie bien moins cher que les prix mondiaux. Et quand cesprix étrangers ont baissé, la Slovénie s'estfournie là-bas. Avant cela, elle achetait du bois au Kosovo,fabriquait des portes et fenêtres qu'elle nous revendaitensuite très cher. Pourquoi ne plaçait-on pas cesusines ici?

Voici une autre citation de ce livre. En 1992, le ministrebavarois de l'Intérieur affirme qu'en faisant éclaterla Yougoslavie, Helmut Kohl a obtenu ce que ni l'empereur Guillaume(14-18), ni Hitler (40-45) n'avaient réussi
A. Demaqi.
C'est dans toute l'Europe que Kohl obtient cequ'Hitler n'a pas réussi. L'Allemagne va partout en Europe del'Est où elle peut obtenir des superprofits. Les gens secontentent d'un ou deux marks. Sans charges sociales. Et tout estallemand: le projet, la technologie. Sauf les travailleurs. EnAllemagne, ils devraient payer 20 DM de salaire horaire.

Que pensez-vous de cette carte montrant les grandes puissances(Bonn et Washington) rivaliser pour contrôler les Balkans etplus précisément les routes vers le pétrole duMoyen-Orient et de l'ex-URSS?
A. Demaqi.
L'Amérique cherche du pétrole enAlbanie. Si elle en trouve, cela nous apportera aussi de bonnesperspectives économiques.

D'après vous, pourquoi l'Otan veut-elle intervenir dansle conflit?
A. Demaqi.
L'Otan veut la paix. Elle veut des voies decommunication libres et sûres. Donc, elle veut lastabilité.

N'a-t-elle pas intérêt, au contraire, au maintien d'unconflit entre Serbes et Albanais pour justifier son expansionà l'Est et l'installation de ses bases?
A. Demaqi.
Il ne faut pas avoir une vue négative. Nousfaisons confiance à l'Otan.

Mais n'applique-t-elle pas le 'deux poids, deux mesures'?Israël ne cesse de violer les résolutions de l'ONU. Quandil a bombardé un camp de réfugiés palestiniensau Liban , l'Ouest n'a pas bougé.
A. Demaqi.
Oui, les Etats-Unis et l'Europe appliquent deux poids,deux mesures. Ils pensent d'abord à leurs propresintérêts.

Mécontente, la population russe manifeste.Peut-être les puissances occidentales y interviendront-ellescomme après la Révolution de 1917? Ici, au Kosovo,l'Otan ne crée-t-elle pas un précédent avant des'en prendre à la Russie?
A. Demaqi.
La Russie est une énorme catastropheéconomique. Des forces veulent en profiter pour ramener lecommunisme. C'est la faute de l'Occident. Pour ces forces russes, leKosovo est un test: si la communauté internationaleéchoue au Kosovo, alors cela démontre qu'elle ne pourrapas non plus intervenir en Russie. Et ces cercles russes enprofiteront pour reconstruire leur empire.
1. Albania, 25 juillet 98.


Les quatre grandes illusions de Monsieur Demaqi

Nous ne savons pas si Monsieur Demaqi a été degauche un jour. Une chose est sûre: il ne l'est plus du tout. Aprésent, il roule entièrement pour l'Occident. Danscette interview, il exprime quatre grandes illusions - ou tromperies,chacun jugera - très néfastes pour le camp progressisteet pour la paix.

1. Cuba. Ne pas 's'isoler' en suivant l'exemple cubain? Cen'est pas Cuba qui s'isole, c'est l'impérialismeaméricain qui emploie les méthodes les plus brutalespour abattre l'espoir d'une société juste.
2. Allemagne, USA. Monsieur Demaqi adopte pour règle dese ranger du côté du plus fort. Ne pas résister,comme Cuba, aux injustices internationales et au pillage desmultinationales, mais quémander les faveurs de cesmultinationales. Il parle d'un Kosovo 'indépendant'. Mais unKosovo soumis aux multinationales de Bonn et aux troupes deWashington n'aura aucune indépendance. Ce sera juste unetête de pont de l'Ouest pour contrôler les Balkans. Commel'Albanie, totalement ouverte aux multinationales italiennes, auxbases militaires US et à la misère. Idem dansl'ex-URSS. Combien d'exemples faudra-t-il encore?
3. Otan. Monsieur Demaqi répond àcôté de la question. Dès 1991, l'Otandéclarait se préparer à intervenir militairementen Europe de l'Est pour briser toute révolte contre lecapitalisme. C'est pour cela qu'elle veut des bases partout.
4. Russie. Monsieur Demaqi prend clairement position pourl'Occident qui a ruiné la Russie, et contre les forces degauche qui résistent à cette colonisation. Pourtant, lechef de l'état-major de la force aérienne belge aannoncé une nouvelle agression occidentale «avec desmoyens militaires, dans notre propre intérêt (sic). Siça déraille en Russie, nous aurons une Yougoslavieà la puissance dix.» Monsieur Demaqi se range de soncôté, du côté de l'anticommunismeactif.
Monsieur Demaqi et les dirigeants de l'UCK font comme si lesEtats-Unis, l'Allemagne et l'Otan pouvaient apporter laliberté à un peuple. Or, ces mêmes puissancessont responsables du massacre des Palestiniens, des Kurdes, desCongolais, des Timorais, des Péruviens, des Salvadoriens, desPhilippins, et la liste est encore très longue
Le Kosovo constituera-t-il une exception bizarre et singulièreoù l'Occident se placerait, pour une fois, ducôté du peuple? Le prétendre, c'est tromper lemonde. Au Kosovo, les grandes puissances cherchent seulement àcontrôler des routes stratégiques et des basesmilitaires qui seront utilisées contre tous les peuples de larégion. Y compris contre le peuple albanais. Aider ces grandespuissances à s'implanter, c'est s'opposer auxintérêts des peuples des Balkans. Y compris du peuplealbanais.