OTAN, OÙ EST TA VICTOIRE?

Ils créent un désert et appellent cela la paix. (Tacite)

Victoire! On a gagné! Milosevic capitule! Pendant des semaines et des mois nous entendrons retentir ce cri dans les médias, les organisations humanitaires et les colloques sur les droits de l'homme. Le New York Times proclameque «les bombardements continus ont étés plus efficaces que ne le pensaient de nombreux critiques» et qu'il s'agit là d'une «victoire des principes de la démocratie et des droits de l'homme». Et, sur CNN, Christiane Amampour affirme que Milosevic obtient «moins que s'il avait accepté les négociations de Rambouillet».

Oublions un instant la propagande et constatons les faits. Est-ce une victoire militaire? La seule chose qui peut étonner dans cette guerre, c'est que deux mois et demi de bombardements intensifs d'une population sans défense appartenant d'un pays pauvre de 11 millions d'habitants et effectués par la plus puissante coalition militaire de tous les temps n'ont même pas abouti à une capitulation totale. On dit que les Yougoslaves doivent aujourd'hui accepter l'accord de Rambouillet. Il y avait trois aspects dans ces accords: une autonomie du Kosovo, qui était acceptée par eux à Rambouillet même, un référendum dans trois ans au Kosovo qui, pour l'instant, a été abandonné par les Occidentaux et une occupation militaire de tout le pays qui semble aussi avoir été abandonnée par l'OTAN. Si l'on ajoute à cela le rôle (limité, mais qui était totalement exclu à Rambouillet) reconnu à la Russie et à l'ONU, un observateur impartial s'apercevra que l'OTAN aussi a reculé. Pourquoi? D'abord, parce que le régime yougoslave n'a pas cédé aussi vite qu'ils ne le pensaient; ensuite à cause des dissensions entre l'aile allemande et l'aile américaine de l'Alliance qui s'accentueront sans doute et pourraient bien être le début de la fin de l'OTAN. Finalement, le mouvement d'opposition à la guerre, bien faible chez nous, commençait à se faire sentir en Italie, aux Etats-Unis et en Allemagne.

Est-ce une victoire pour les droits de l'homme? Lorsqu'on parle de cette guerre, il ne faut jamais oublier de souligner qu'elle n'a pas été déclenchée pour arrêter l'épuration ethnique, dont on a commencé à parler, pour l'essentiel, qu'après le début des bombardements, mais pour forcer les Yougoslaves à signer l'accord de Rambouillet dans lequel on avait inclus des clauses d'occupation de tout le territoire (l'appendice B) qui le rendait totalement inacceptable. D'après George Kenney, ancien responsable du bureau «Yougoslavie» au Département d'Etat, un collaborateur de Madeleine Albright s'est vanté de ce que les Américains ont délibérément «mis la barre plus haut que ce que les Serbes pouvaient accepter» et que «ceux-ci ont besoin d'un peu de bombardements et c'est ce qu'ils auront». Cette guerre, ajoute George Kenney «était totalement évitable».

Bien sûr, l'OTAN pourra occuper le Kosovo, ce qui était refusé par la Yougoslavie et cela (mais cela seulement) peut être considéré commeune victoire. Mais à quel prix? Des milliers de morts, des centaines de milliers de réfugiés dont on sait très bien que beaucoup ne rentreront pas volontairement dans un pays dévasté et pollué, une économie ruinée et des dépenses militaires colossales. D'aucun penseront sans doute que des régimes autoritaires auront désormais peur de violer les droits de l'homme et par conséquent, que le jeu en valait la chandelle. Lorsqu'on voit le procès «stalinien» que le régime turc fait, aujourd'hui même, à Öçalan tout en demandant à ses partisans de capituler, on constate qu'il n'en est rien. Ce que cette guerre, comme la guerre de Golfe, aura tendance à établir c'est que dans un monde marqué par tant d'injustices, de tensions et de raisons de se révolter, la moindre résistance face aux diktats des puissants est impitoyablement sanctionnée.

Finalement, il n'y a aucun doute qu'on assiste à une formidable victoire de la force sur le droit: rarement dans l'histoire on aura vu les pays forts mépriser autant un droit international qui les sert en général si bien. On a négocié à Rambouillet sous la menace, ce qui est illégal; l'agression viole la chartre des Nations-Unies (etmême la chartre de l'OTAN!); on a utilisé des bombes à fragmentation qui sont interdites; finalement, la guerre, ayant duré plus de 60 jours sans l'accord du Congrès, viole les lois américaines (le War Powers Act). Se souvient-on de la guerre du Golfe et du caractère sacré du droit international? Va-t-on reprocher à l'Inde d'attaquer le Pakistan? Au nom de quoi? On a ouvert une boite de Pandore qui légitime l'attaque de tous contre tous. Bien entendu, en réalité, seuls les pays puissants pourront en profiter.

On n'aura jamais, même pendant la guerre du Golfe, assisté à un tel déluge de propagande et de répression. Au début de la guerre, une manifestation pacifique de dix personnes, accompagnées de journalistes, a été sauvagement attaquée par la police de Bruxelles. A la fin de la guerre, un petit groupe de gens campant devant le ministère des Affaires Etrangères, toujours à Bruxelles, a été rapidement embarqué par la police. Entre les deux, les mouvements pacifistes et écologistes ont été démobilés et terrorisés par une propagande «humanitaire» qui assimilait Milosevic à Hitler (c'est-à-dire qui assimilait aussi Hitler à Milosevic), taxait tous les opposants de nazis, refusait de discuter publiquement des accords de Rambouillet et des origines de la guerre et empêchait toute personne honnête de se demander si, comme le dit George Kenney, la guerre n'était pas «totalement évitable».

Comme le dit très bien la journaliste américaine Diana Johnstone, «la Yougoslavie est en ruine; le droit international est en ruine; la vérité est en ruine; faites votre choix; il y a beaucoup à reconstruire, et le travail ne fait que commencer».

Quelques mois après la guerre du Golfe, lors d'un séjour au Maroc, j'ai été surpris par le soutien dont jouissait chez mes collègues, non seulement la cause irakienne (peu de gens dans le monde arabe sont dupes du mythe du «Koweit indépendant»), mais la personne même de Saddam Hussein. Après tout, il avait perdu, son pays était en ruines et il était démonisé et ridiculisé dans nos médias. Là aussi, nous avions gagné. Mais, me disait un ami marocain à propos du leader irakien, «je ne pouvais pas le voir en peinture et, du jour au lendemain, tout a changé». Pourquoi? Parce, même dans la défaite, il symbolisait la résistance à un Occident impérial et cruel. Résistance que le peuple irakien a d'ailleurs payé de près d'un million de morts (suite à un embargo que plus rien ne justifie si ce n'est justement la volonté de briser cette résistance). Au delà de la ligne officielle des gouvernements (à l'époque, le Maroc soutenait la coalition contre l'Irak), il faut sentir l'effet que cette guerre aura sur des millions de gens, en Russie, en Chine, en Inde et ailleurs et auxquels elle aura révélé un peu plus le visage de cet Occident qui n'a plus à offrir au monde que la cupidité de ses marchands, la terrifiante efficacité de ses armes et le mépris qu'il affiche pour les valeurs dont il se réclame.

Jean Bricmont
Professeur à l'Université Catholique de Louvain

_______ _______ _______

Volver al portal de ESPAÑA ROJA
Enviar un mensaje electrónico a
Lorenzo Peña
eroj@eroj.org
Director de ESPAÑA ROJA

volver al comienzo del documento

_________ _________ _________

mantenido por:
Lorenzo Peña
eroj@eroj.org
Director de ESPAÑA ROJA