Existe-t-il une internationale islamiste?
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Dans l'inconscient collectif occidental, au terme d'amalgames parfois abusifs et de schémas réducteurs l'univers arabo-islamique est souvent présenté en termes de menace. Il convient donc de bien distinguer l'islam en tant que religion de l'islamisme qui dans son acception la plus large regroupe les mouvements contemporains qui pensent l'islam comme idéologie politique totalisante devant à la fois s'implanter dans la société et dans l'État (O. Roy). L'islamisme se distingue par ailleurs du fondamentalisme qui prône pour sa part une application stricte de la loi (charia) sans exercer de pouvoir politique.

L'islamisme apparaît dès la fin des années 20 avec la création de l'association des Frères musulmans en Égypte par Hassan al-Banna, mais ce n'est qu'à la fin des années 60 qu'il prendra une réelle ampleur. Le recul d'idéologies telles que le socialisme ou le tiers-mondisme libéreront des espaces que l'islamisme s'empressera d'occuper.

L'existence de la charia (règles communes provenant directement du Coran) ainsi que de la notion d'oumma (communauté des croyants) laissent envisager la possibilité d'un regroupement des islamistes au sein d'une seule et même organisation fédératrice des différentes aspirations au niveau international telle que le furent les Internationales pour le communisme. Mais la cohérence politique du monde de l'islam est-elle suffisante pour mener à bien un tel projet?

[I] Le néo-fondamentalisme de la ligue islamique mondiale: un réseau performant de diffusion et de financement de l'islam sunnite, mais un échec sur le plan idéologique.

Ce réseau s'est développé au cours des années 80 mais a été remis en cause par la guerre du Golfe. Il a constitué l'expérience la plus poussée d'une internationale islamiste modérée.

Un réseau performant de diffusion et de financement de l'islam et de l'islamisme sunnite.

(1) Trois grandes tendances réunies au sein d'une même famille.


L'Organisation Internationale des Frères Musulmans (OIFM).

Les FM agissent par sections implantées dans les différents pays du monde arabe (Syrie, Koweït, Yémen, Palestine, Jordanie, Soudan) qui sont théoriquement subordonnées au guide égyptien. Celui-ci se montre en règle générale plus modéré que les autres branches de l'OIFM.

En dehors de ses propres sections, la société des FM parraine des organisations nationales en Tunisie, au Maroc, en Algérie et en Afghanistan.


Le Jama'at Islami

Implanté au Pakistan, il est en relation étroite avec les FM et se montre un peu plus conservateur que ceux-ci. Il exerce son aire d'influence sur l'ensemble du sous-continent indien et de sa diaspora (de l'île Maurice aux banlieues londoniennes en passant par l'Afrique du Sud).


La Ligue islamique mondiale (Rabita)

Crée en 1962 par l'Arabie Saoudite, la Rabita est un mouvement fondamentaliste qui a tenté de parrainer les deux mouvements précédents. Elle a pactisé avec les FM en 1980 pour établir un front commun contre les chiites et contre la division entre les différentes écoles coraniques.

(2) Le financement des différents réseaux s'effectuait essentiellement par l'Arabie Saoudite au sein de la Rabita.

La Rabita a financé la guerre afghane (légion islamique des Afghans) puis celle de Bosnie via un réseau de banques islamiques privées (Dar al mal al islami) et publiques (Banque Islamique de Développement).

La Rabita a crée de nombreux réseaux chargés de collecter des fonds en Europe afin de financer plusieurs projets spectaculaires (centre islamique de Bruxelles, mosquées de Madrid, Rome, Kensington et Copenhague).

Les islamo-nationalistes du Hamas palestinien, du FIS algérien ainsi que les FM Syriens et jordaniens ont bénéficié des fonds de l'Arabie Saoudite.

(3) Un important réseau de diffusion de l'islamisme sunnite.

La Rabita a organisé de nombreux séminaires, colloques et conférences aux quatre coins du monde, mêlant aussi bien FM et wahhabis, mollahs et professeurs d'université.

Elle a aussi joué un rôle considérable par la diffusion d'opuscules de propagande et de prédications religieuses.

Un échec sur le plan idéologique: une organisation politique inexistante, un pouvoir de commandement absent.

1.- Des valeurs communes.

Ce rapprochement entre islamistes (FM) et fondamentalistes conservateurs d'Arabie Saoudite (wahhabis) a contribué à former ce qu'Olivier Roy appelle le néofondamentalisme. Les deux composantes de ce courant ont en commun une critique virulente de l'occident et plus globalement un rejet de la culture non musulmane. Les néofondamentalistes mènent une croisade pour un retour à un islam pur débarrassé de tout syncrétisme et de toute influence de valeurs extérieures.

Ils sont contre l'intégration des immigrés, pour la mise en place d'«espaces islamisés» dans les pays occidentaux et mènent une guerre sans merci contre les «renégats» comme S. Rushdie.

Sur le plan de la stratégie, ils procèdent à une islamisation par le bas c'est à dire par une pénétration de l'islam s'effectuant d'abord dans la société par des réseaux d'associations caritatives, sportives ou autres de proximité.

2.- Une absence de pouvoir de commandement et d'organisation efficace

Ces quelques valeurs communes ne suffisent pas à faire de cette «internationale» un Komintern musulman où les branches locales suivraient une stratégie définie par le centre, car il n'y a ni stratégie commune et encore moins de centre mais plutôt plusieurs centres.

Certains expliquent cela par la nature intrinsèque de la religion musulmane: le Coran ne contenant pas de notion de péché originel, l'homme peut réaliser le royaume de Dieu sur terre par la simple application de la charia. Une fois celle-ci appliquée, les institutions deviendront par principe inutiles. La primauté de la vertu empêcherait donc toute réflexion sur les institutions.

Plus concrètement, O. Roy explique cet échec sur le plan idéologique et institutionnel par la nature hybride et quelque peu incohérente du néofondamentalisme. L'Arabie Saoudite a mené une propagande strictement religieuse et fondamentaliste, évitant de poser la question politique et remettant ainsi en cause l'essence même de l'islamisme de ses alliés. N'étant préoccupée que par la question religieuse, elle a financé des groupes islamistes parmi les plus radicaux pour la simple raison qu'ils étaient les plus efficaces dans la lutte contre l'islam chiite. Cette internationale était en quelque sorte plus islamique qu'islamiste, cherchant à développer et diffuser sa conception de la religion musulmane plutôt que de créer des réseaux militants structurés, hiérarchisés et donc aptes à répercuter une ligne politique et à la transformer en mouvement de masse.

[II] Les clivages ethniques, religieux et nationaux du monde musulman se révèlent plus forts que tous les appels à la solidarité islamiste.

La guerre du Golfe: facteur d'émiettement et de radicalisation des mouvements islamistes sunnites.

1.- La remise en cause du rôle de l'Arabie Saoudite et l'éclatement de l'OIFM

Au cours de l'automne 1990, les réseaux islamistes ont massivement abandonné l'Arabie Saoudite.

Celle-ci a été accusée d'avoir permis à une armée infidèle de protéger les lieux saints. Le nationalisme arabo-islamique l'emporte sur les intérêts économiques de l'Arabie Saoudite qui cesse de financer les différents groupes ayant soutenu l'Irak lors du conflit.


L'éclatement de l'OIFM

Derrière l'Arabie Saoudite et le Koweït, les FM des États du Golfe suivent. Ils quittent l'OIFM après avoir cherché à obtenir une baisse de l'influence des FM égyptiens dans l'organisation. Certaines des associations soutenues par les FM se scindent: l'ennahda tunisien se divise entre les deux camps.

2.- Une tentative d'Internationale des mouvements sunnites radicaux: le congrès populaire arabe et islamique de Hassan al-Tourabi


La réunion de Khartoum (avril 1991)

Cette réunion s'est tenue sur l'initiative de Hassan al-Tourabi, chef du Front National Islamique soudanais et a réuni pour la première fois des délégations islamistes de trois continents différents (Asie, Europe, Afrique). Les participants ont mis sur pied un cadre international structuré dont le secrétaire général n'est autre que al-Tourabi. Le Soudan apporte un soutien logistique important à l'organisation: camps d'entraînement et passeports diplomatiques truqués aux membres du secrétariat général.

Leur objectif est de «défier l'occident tyrannique». Le manifeste de Khartoum affirme que «les musulmans sont la conscience du monde» et que «leur libération représente la liberté du monde, car il n'y a plus de voix de refus que la notre et de base de liberté que la notre». Les groupes de l'Internationale d'al-Tourabi sont appelés à utiliser des méthodes de confrontation modernes et à adapter leur action politique au monde actuel. Ils se nourrissent sur le plan idéologique des écrits de l'Égyptien Saayd Qotb pendu en 1966.

Le rattachement de ces mouvements radicaux à des problèmes essentiellement nationaux semble compromettre la réussite d'une telle entreprise.

Comme le fait remarquer Bassma Kodmani-Darwich, imaginer un pouvoir tout puissant auquel obéissent les différents mouvements islamistes, c'est oublier que ces derniers sont avant tout en révolte contre l'ordre établi dans leur propre pays. Il semble donc particulièrement difficile de coordonner l'action dispersée de ces mouvements radicaux dont les préoccupations sont avant tout nationales.

L'éternelle opposition sunnites-chiites rend improbable une unification des différents mouvements islamistes.

Ce n'est pas tant l'opposition théologique que la concurrence politique des mouvements islamistes des deux camps qui fondent cette opposition.

L'islamisme tant sunnite que chiite nie l'opposition entre les deux écoles de l'islam en mettant de côté des différences théologiques et doctrinales. En revanche, l'opposition sur le plan politique demeure.

Sur le plan de la méthode, l'islamisme chiite préconise l'islamisation par le haut au moyen d'une révolution sur le modèle iranien imposant la charia au moyen de la coercition étatique. Côté sunnites, ceux qui préconisent une islamisation par le bas sont majoritaires.

Depuis la révolution iranienne de 1979, la communauté chiite ne parvient pas à sortir de son isolement.

Les chiites se retrouvent en Iran, dans une partie de l'Iraq et du sous continent indien. Quelques minorités sont disséminées au Proche-Orient.

Les différentes tentatives d'exportation de la révolution iranienne au moyen de groupes islamistes terroristes ont échoué. L'Iran n'a jamais réussi à rallier que des groupuscules sunnites n'ayant guère d'impact dans leur pays.

Les conséquences de la guerre du Golfe et du processus de paix en Israël pourraient constituer un nouveau levier pour l'Iran.

L'Iran s'est lancé dans le parrainage de certains groupes rejetés par Ryad après la guerre du Golfe (FIS, Annahda) qui pourrait lui permettre de faire une percée en milieu sunnite.

Par ailleurs, l'organisation à Téhéran le 19 octobre 1991 d'une conférence de solidarité avec le peuple musulman de Palestine condamnant le processus de paix et l'OLP a permis à l'Iran de se placer en fédérateur de mouvements islamistes sunnites délaissés par leurs États, à l'exception du Soudan.

Mais cette relative sortie de leur isolement des chiites ne signifie pas pour autant la fin du clivage durable avec les sunnites.

La prédominance de la stratégie étatique sur celle de l'union internationale:

1.- Les différentes tentatives de création d'une Internationale islamiste, sunnite ou chiite, modérée ou radicale, se sont toujours effectuées à l'instigation d'un État.

L'opposition Arabie Saoudite/Iran a été la principale motivation de création de réseaux islamistes internationaux. Le but est d'instrumentaliser ceux-ci au profit d'objectifs diplomatiques nationaux de domination politique d'une aire géographique.

Le cas du Soudan, plus récemment islamisé, ne peut pas encore être placé au même niveau que celui de l'Iran ou de l'Arabie Saoudite mais il semble peu probable que le régime de Khartoum n'ait aucune visée politique personnelle.

2.- Une réapropriation de l'islamisme par les États musulmans au moyen d'une double attitude.

La répression contre les groupes islamistes radicaux contestant la légitimité étatique.

Les mouvements de répression depuis le début des années 80 sont multiples: exécution des assassins de Sadate en 82, répression du soulèvement de la ville de Hama en Syrie (1982) ainsi que des chiites du sud de l'Irak en 1991, du FIS algérien ou encore du Annahda tunisien.

Une réislamisation par le haut afin de désamorcer la contestation islamiste et se donner une légitimité religieuse.

Cela peut se limiter à une intégration au jeu politique des partis islamistes modérés (Jordanie, Koweït, Turquie), celle-ci peut se doubler d'une réislamisation menée par l'État (Pakistan, Soudan, Égypte), enfin, des concessions idéologiques peuvent être accordées tout en bloquant la participation politique des islamistes (Maghreb).

Si cette pratique peut présenter certains dangers (perte de contrôle du mouvement initié par les États), elle se montre dans l'ensemble assez efficace pour éviter que ne se développent des réseaux islamistes trop puissants.

3.- Les conflits entre États du Moyen-Orient: révélateurs de la prédominance de l'appartenance étatique sur l'appartenance religieuse:


L'exemple de la guerre Irak-Iran

La guerre entre ces deux pays a montré que les chiites irakiens, malgré leur statut de majorité opprimée, n'ont dans l'ensemble pas été solidaires de l'Iran mais d'abord irakiens.


L'exemple de la guerre du Golfe

Lors de ce conflit, les Frères Musulmans, les wahhabis et les Pakistanais se sont alignés sur les positions de leurs pays respectifs.

S'il existe indéniablement des réseaux islamistes permettant le financement de leurs actions et la diffusion de leurs idées, il semble difficile de pouvoir parler d'une Internationale islamiste. Devant les clivages ethniques, religieux et nationaux, la notion d'oumma politique demeure plus théorique que réelle. En revanche, le sentiment d'appartenance à la communauté musulmane est très présent au sein des populations, ce qui pourrait s'apparenter à une «oumma sociale».


BIBLIOGRAPHIE

DÉCRETS DES TALIBANS

Principales mesures

Les femmes salariées ne doivent plus travailler. Elles ne peuvent sortir que couvertes du Tchadri.

Les écoles pour les filles et femmes sont fermées. Les filles n'ont droit qu'à une éducation coranique jusqu'à l'âge de 9 ans.

Toutes les drogues et l'alcool sont interdits. «Celui qui boit (...) doit être tué et son corps pendu pendant 3 jours» (Radio Charia).

Les personnes coupables d'adultère sont lapidées à mort publiquement.

Les relations illicites entre personnes non mariées sont punies par divers châtiments.

Le meurtre est puni par le «Qisas» qui donne droit à la famille de la victime de se venger par la mort du coupable.

Les personnes prises en flagrant délit de vol auront la main droite amputée (la seule autorisée pour s'alimenter). Parfois le coupable devra préalablement à l'amputation plonger sa main dans l'eau bouillante.

Les hommes doivent avoir la tête couverte, le port des vêtements occidentaux est interdit.

La prière est rendue obligatoire et les chefs religieux et politiques doivent livrer ceux qui s'y refusent à la malice islamique.

Les bus doivent s'arrêter devant la mosquée la plus proche de leur parcours aux heures de prière afin de permettre aux fidèles d'aller prier.

Les rassemblements de plus de 5 personnes (non Talibâns) sont interdits.

Il est interdit de fumer au bureau ou dans la rue.

Les oiseaux ne doivent pas être maintenus en cage.

Les Hammams, qualifiés de «anti-islamiques», sont fermés.

La musique, la télévision, la vidéo et les fêtes de mariage sont interdites.

Les biens de l'État aux mains de personnes privées doivent être restitués.

Toutes les armes doivent être remises au gouvernement.

La radio, la télévision et les journaux devront conduire leur publication en accord avec la politique des Talibâns.

Les publications étrangers qui sont contre la politique des Talibâns sont interdites.

Les Tribunaux Charaï (appliquant la Charia) seront prédominants dans toutes les structures administratives de l'État islamique.


SM3586 du 14/03/01

Les talibans ne massacrent pas que des statues

La destruction des bouddhas de Bamiyan a suscité un élan de réprobation internationale. La folie obscurantiste des talibans est de nouveau vilipendée.

Les violences exercées par ces fous de dieu sur tout un peuple doivent aussi être dénoncées.

Le 8 janvier 2001, les talibans entamèrent le massacre public de 300 civils, dans le district de Yakaolang, au nord de l'Afghanistan. Ce massacre d'hommes, d'origine hazarajat, dura quatre jours. En majorité composées de musulmans chiites, les victimes, pour certaines d'entre elles, travaillaient avec les organisations humanitaires implantées dans la région. L'association Human Rights Watch a établi un rapport très détaillé sur ce massacre, recueilli de nombreux témoignages et filmé ce qui semble être des charniers.

Ce rapport envoyé aux Nations unies n'a pas suscité une vague d'indignation de l'opinion internationale. Les atrocités commises par le régime au pouvoir à Kaboul se déroulent dans l'obscurité qui a envahi l'Afghanistan. Les talibans l'ont compris, qui ont décidé de tuer des statues pour réveiller les Occidentaux, secouer les Nations unies, affoler l'UNESCO.

Prendre en otages les vestiges de l'art bouddhique pré-islamique du pays a été jugé comme «un sacrilège pour l'humanité».

Bien entendu, la violence inepte des talibans à l'égard de témoignages uniques du passé est choquante; mais leur rage obscurantiste s'exerçant sur les femmes, la régression absurde, à laquelle ils ont condamné tout un peuple, ne l'est pas moins.

Les projecteurs médiatiques qui éclairent de nouveau l'Afghanistan mettent surtout en lumière une situation terriblement explosive. Les talibans continuent à servir de base arrière à un certain terrorisme islamiste international.

Récemment, des extrémistes musulmans arrêtés aux Philippines et en Indonésie ont avoué avoir été entraînés en Afghanistan.

La production d'opium dans ce pays a connu un boom sans précédent. Selon le programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues, la production d'opium afghan était de 4.600 tonnes en 1999, soit une augmentation de 70% par rapport à l'année précédente.

Aujourd'hui, les spécialistes affirment que l'Afghanistan produit plus de 80% de l'opium circulant sur le marché mondial. Quelques «laboratoires» assurent également sur place la transformation d'une partie de cet opium en héroïne de basse qualité.

L'économie talibane repose essentiellement sur cette production. Les Nations unies tentent d'établir un «cordon de sécurité» autour de l'Afghanistan afin d'"endiguer le flux d'opiacés destinés à d'autres pays». Tous ceci reste théorique et les filières des talibans en direction du Pakistan, du Caucase, de l'Iran et de la Chine ne semblent pas près de se tarir.


Barrer les routes de la drogue et du
fondamentalisme

Le «succès» des talibans devient un «modèle» pour d'autres régions proches et le gouvernement chinois, qui avait manifesté une intransigeance sans faille avec le régime de Kaboul, est en train de renouer des liens discrets avec les talibans.

La Chine ne peut arrêter l'exportation d'héroïne bon marché et d'islamisme frelaté dans la région autonome du Xinjiang (Sin-King), où les menées séparatistes des Ouïgours (minoritée musulmane) se font de plus en plus pressantes.

Outre le séparatisme, la toxicomanie commence à faire des ravages en Chine.

L'héroïne rentre en Chine par le «corridor» de Wakhan, à l'extrême est de l'Afghanistan.

Le changement d'attitude chinois est une victoire du Pakistan, dont les dirigeants, qui soutiennent Kaboul, ont convaincu Pékin qu'il valait mieux traiter avec les talibans. Islamabad a fait valoir que les talibans étaient prêts à réprimer le commerce de drogue avec la Chine et ne souhaitaient pas soutenir les Ouïgours.

L'Inde paraît très inquiète de ce rapprochement des Chinois avec «l'ennemi pakistanais» et craint que l'influence de la Chine en Asie du Sud n'en soit renforcée.

Même si l'attitude de la Chine n'est dictée que par le pragmatisme, les changements d'alliance dans cette région du globe semblent faire croître une déstabilisation dont on imaginait mal qu'elle pût aller vers plus de dangerosité. La trame de la situation actuelle dans la région s'est tissée au cours des vingt années de guerre qu'a connues l'Afghanistan.

L'un des principaux théoriciens de la «politique islamiste» des États-Unis fut sans conteste Zbigniew Brezinski. Ce conseiller du président Carter fut un chaud partisan du soutien de la résistance islamique aux Soviétiques.

Ayant défini l'intérêt stratégique et économique que présentait le contrôle des régions clés situées entre l'Asie centrale et le Caucase, Brezinski échafaudait «une politique qui allait permettre un affaiblissement durable de la Russie» sur ces régions, qui passait par une «défense stratégique de l'Islam».

C'est ce soutien de près de vingt années qui a permis la formation de l'élite des guerriers de l'Islam qui ont essaimé sur tous les champs de bataille de l'intégrisme.


Les amis des talibans

Dans les années 80, le Saoudien Oussama Ben Laden fut l'un des principaux recruteurs des quelque 35.000 militants islamistes arabes, africains et asiatiques qui luttèrent contre l'Armée rouge. Ben Laden bénéficia du soutien des autorités américaines et de celui, sur place, de la CIA.

Au Pakistan, en 1993, avec le retour au pouvoir de Benazir Bhutto, les talibans connurent un essor inespéré.

Issus d'un mouvement apparu en Inde pendant la période coloniale, les «déobantis» se proposaient de régénérer la société musulmane sunnite et de mettre les textes islamiques classiques en harmonie avec la réalité de l'époque.

Ils créèrent des écoles (madrassas) qui, après la partition de l'Inde en 1947, se développèrent au Pakistan.

Les déobantis créèrent un parti politique, la Jamaat-Ulema-e-Islami (JUI). Pour revenir aux affaires, Benazir Bhutto eut besoin des militants de la JUI et décida de les utiliser pour contrer l'influence des islamistes proches de l'ancien pouvoir.

Sous la dictature du général Zia ul-Haq, la conduite de la guerre menée en Afghanistan par les groupes islamistes sous contrôle du Pakistan était dirigée par les services secrets pakistanais, avec l'approbation et le soutien des États-Unis.

Pendant le conflit, et jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Benazir Bhutto, la JUI établit des centaines d'écoles le long de la ceinture pachtoune entre le Pakistan et l'Afghanistan. Ces écoles dirigées par des mollahs souvent analphabètes «produisirent» des centaines d'étudiants (talibans).

Les États-Unis et l'Arabie saoudite soutinrent la JUI, l'aidèrent à financer ses usines à talibans et favorisèrent leur entrée en Afghanistan pour y mener une guerre de conquête, dès l'automne 1994.

Le 27 septembre 1996, les talibans prirent Kaboul. En arrivant dans la capitale afghane, ils se précipitèrent dans un bâtiment placé sous contrôle de l'ONU pour se saisir de l'ancien président communiste, Najibullah, le torturèrent, puis l'attachèrent au pare-chocs d'une voiture pour le traîner dans la ville avant de le pendre à un réverbère.


Rétablir l'ordre

Après s'être rendus maîtres de la ville, les talibans appliquent aussitôt leur conception de la Charia, la loi islamique. Des dizaines d'amputations sont pratiquées, les femmes souvent bastonnées à mort lorsqu'elles laissent entrevoir un peu de leur chevelure. Le travail leur est interdit, ce qui implique que les 40.000 veuves de Kaboul sont réduites à la mendicité.

Deux jours après la prise de la capitale afghane, l'émissaire des Nations unies pour l'Afghanistan, Robert Hole, engage aussitôt le dialogue avec les nouveaux maîtres de Kaboul ne voyant «aucune objection» à ce que les talibans appliquent la Charia, à condition qu'"ils rétablissent rapidement l'ordre».

Les États-Unis suivent attentivement la progression des talibans. En octobre 1995, ceux-ci s'emparent d'Herat, une ville proche de la frontière avec le Turkmenistan.

Le 21 octobre, la société pétrolière américaine, Unocal, signe un contrat de 3 millards de dollars avec le chef de l'État turkmène, Saparmourad Nyazov, pour la construction d'un gazoduc devant relier le Turkmenistan au Pakistan en traversant l'Afghanistan. Pour cette opération, Unocal s'est associée avec une société saoudienne, Delta Oil.

Toujours en 1996, Oussama Ben Laden revient en Afghanistan, il a développé une relation d'amitié avec le chef suprême des talibans, le mollah Mohammed Omar.

L'influence de Ben Laden n'a cessé de se faire sentir auprès des talibans depuis cette époque. C'est lui qui met en contact les «Afghans» arabes et les talibans.

C'est lui qui propage l'idéologie pan-islamiste parmi ces «étudiants» sans culture. Les prises de position anti-américaines et anti-saoudiennes des talibans sont, semble-t-il, dues à son influence croissante. Mis au ban de la communauté internationale, surtout depuis les actions hostiles à l'égard des États-Unis déclenchées par Ben Laden, le pouvoir taliban en ressent une frustration dont il semble avoir trouvé l'exutoire en détruisant les témoignages du passé.

La prise en otages des bouddhas géants de Bamiyan, à ce point de vue, a été un coup de maître. Le tollé international suscité a traversé la planète; et, de la Thaïlande au Sri-Lanka, la plupart des pays bouddhistes ont violement critiqué cette destruction.

Les talibans sont néanmoins revenus au centre de l'actualité internationale, objets d'une réprobation presque unanime. Mais, si l'on évoque le passé, faudra-t-il se rappeler qui les a fait rois?


Alain Van Der Eecken.
© Rossel & Cie - Le Soir magazine

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